Encore un incident près du Somport. La RN 134 maudite ? Non, mal aimée.
La RN 134 (E7) est encore à la Une des journaux. Cette fois, non loin du tunnel du Somport, ce n’est pas la chaussée qui s’affaisse, ce sont, en surplomb, les flancs de la montagne, minés par les pluies de cette période climatique pourrie, qui laissent tomber sur la route de gros rochers. Danger très sérieux donc.
La route est fermée - par arrêté préfectoral - aux automobiles et véhicules légers qui pouvaient encore emprunter le tunnel et qui doivent désormais passer par le col du Somport. Il faudra plusieurs jours pour que la société spécialisée chargée de purger la paroi parvienne à sécuriser parfaitement le secteur.
Cet incident s’ajoute donc à tous ceux qui, hier comme aujourd’hui, et notamment le problème posé à 3 km au sud d’Urdos où la chaussée menaçait de s’effondrer, rendent impraticable un itinéraire du plus haut intérêt entre la France et l’Espagne dans la partie centrale des Pyrénées. D’où l’impatience, sinon la colère, des Aragonais, profondément agacés par ce nouvel avatar. On les comprend.
Non aucune malédiction funeste, particulière, comme certains finissent par le prétendre, n’accable le tunnel du Somport et ses accès. Cet ouvrage international et la RN134 (E7) qui y mène côté français ne sont pas maudits. Ils sont d’abord simplement malmenés et tourmentés par une météo d’autant plus influente qu’on est dans un contexte physique et géologique fragile. On est ici en montagne et la pluie, plus la neige à certaines périodes, s’y manifestent avec excès.
Cependant, alors que les menaces et les risques liés aux calamités naturelles justifieraient que les pouvoirs publics se montrent ici plus attentifs et miséricordieux qu’ailleurs, tout se passe comme si cette infrastructure d’un haut intérêt était vraiment mal aimée.
Les environnementalistes et les écolos de tous poils ne sont pas étrangers à ce phénomène. Ils ont combattu ce projet depuis 25 ans, avec hargne, brandissant l’éternel leitmotiv de « la vallée d’Aspe couloir à camions » et ont fini par rendre frileuse et craintive vis-à-vis de ce dossier une administration d’Etat - le ministère des Transports pour ne pas le nommer - de surcroît totalement désargentée.
Il ne fait pas de doute que si l’Etat français s’était engagé, comme il y était tenu, à moderniser, avec les moyens adéquats, la route d’accès au tunnel comme l’ont fait les Aragonais, nous aurions certainement aujourd’hui une infrastructure sécurisée, moins exposée aux aléas climatiques. D’accord, direz-vous, la topographie de l’autre côté des Pyrénées est moins fragile, mais quand même, n’y a-t-il pas quelque chose d’indécent, d’indigne, de révoltant, à accepter de creuser un remarquable tunnel international - en laissant les Espagnols en payer les deux tiers, construction et charges d’exploitation - et à ne pas réaliser l’aménagement de ce qui logiquement va avec, c’est à dire la route d’Oloron à la frontière ? Ou alors il fallait renoncer à effectuer cette opération. Auquel cas, évidemment, on fermait carrément la porte à nos voisins, ce qui aurait été très sympathique…
Un problème politique
L’Etat qui a conservé la responsabilité de la RN134 de Pau au Somport a traîné des pieds lorsqu’il aurait pu - et dû -, dans le cadre des contrats de plan, diligenter les opérations programmées de modernisation de l’itinéraire et achever les déviations de tous les villages et de la ville d’Oloron qu’il fallait contourner : Gurmençon, Asasp, Cette-Eygun et Urdos. Sans moyens techniques, sans personnel suffisant, sans crédits, la Direction Interdépartementale des Routes Atlantique (DIRA) qui a succédé à la DDE ne peut que réaliser des aménagements légers de sécurité là où des travaux plus lourds seraient indispensables. On pense notamment aux déviations de Cette-Eygun et Urdos sans doute assez complexes, donc coûteuses. On pense aussi à la surveillance et à l’entretien de la route actuelle qui subira encore d’autres avaries, c’est certain, entre Urdos et le tunnel.
Vus de Paris, les problèmes de la vallée d’Aspe où la densité de circulation est proportionnelle à l’inconfort de la route, ne justifient sans doute pas qu’on s’attarde sur ce dossier. Or, c’est mal considérer les vrais besoins et le véritable enjeu. Ceux des Béarnais et Aquitains qui veulent se rendre en Espagne par un itinéraire (européen E7) sécurisé et n’ayant plus le profil d’un chemin du second Empire. Ceux, plus importants, plus vitaux encore, des Aragonais qui attendent que notre pays réponde à leurs souhaits - ô combien fondés ! - d’avoir une porte ouverte sur la France et l’Europe et une route en vallée d’Aspe d’un confort équivalent à celui de leur propre réseau routier. Bref, la situation actuelle constitue une entrave handicapant fortement de fructueux échanges économiques, culturels, touristiques, tant pour les français que pour les espagnols.
Le problème est posé depuis 25 ans. Il n’est pas seulement technique. Il est éminemment politique.
Pour l'Aragon, une question grave.
Le quotidien El Periodico de Aragon rapporte qu’une délégation aragonaise était récemment à Pau pour participer à un débat sur la coopération transfrontalière. Il observe que les relations avec le sud du pays voisin ne s’amélioreront qu’avec de meilleures communications entre les deux États. C’est la position défendue par les responsables politiques et patronaux aragonais. Ainsi le président de la Confédération des Entreprises d’Aragón (CREA), Fernando Callizo a indiqué que le "principal écueil" dans les relations avec l’Aquitaine et Midi-Pyrénées sont les "mauvaises" communications transfrontalières à travers les Pyrénées Centrales. Il a appelé l’UE à "mettre son nez dans cette affaire" afin de pousser le Gouvernement français à maintenir ouverte de façon permanente la route nationale RN134, qui donne accès à la bouche française du tunnel du Somport. Selon lui, "la route du Somport est un axe international de caractère communautaire, l’Axe Européen 07, et Bruxelles, qui avait attribué des fonds pour la construction du tunnel, devrait demander des comptes si les accès ne sont pas tenus en état".
Le représentant du Conseil Aragonais des Chambres de Commerce, Francisco Lalanne, s’est prononcé dans le même sens, disant que les efforts de coopération réalisés entre les deux régions "seraient vains en l’absence d’infrastructures de communication modernes et fonctionnelles". Ont également pris la défense de ces communications la maire de Huesca, Ana Alós, le consul d’Espagne à Pau, Fernando Riquelme, et le coordinateur général de Ebrópolis, Miguel Zarzuela.
Le quotidien note enfin que la situation actuelle de la RN134 - par où est passée la délégation aragonaise - " confirme la gravité du problème des communications transfrontalières dans les Pyrénées Centrales et donc aussi pour les relations entre entreprises d’Aragón, du Béarn et de la Bigorre ".